RECONVERSION ÉCONOMIQUE

RECONVERSION ÉCONOMIQUE
RECONVERSION ÉCONOMIQUE

L’amélioration très rapide des niveaux de vie dans les sociétés industrielles occidentales ne va pas sans de lourdes contreparties. L’abondance s’acquiert au prix d’une destruction du cadre de vie des générations antérieures. Plus la croissance économique s’accélère, plus les reconversions économiques sont importantes. Dès qu’une branche d’activité dépérit, l’organisation du travail et les qualifications professionnelles propres aux métiers de cette branche sont également condamnées à disparaître. Aussi une reconversion économique s’accompagne-t-elle toujours de reconversions professionnelles et de tensions sociales. Les secteurs à l’abri du risque de reconversion, du moins dans les économies largement industrialisées, sont des réduits, peu nombreux et successivement ébranlés par l’apparition de nouvelles formes de concurrence ou de domination. On peut dès lors s’interroger sur la nécessité de ces reconversions économiques: sont-elles un signe de vitalité et de dynamisme ou, à l’opposé, l’effet d’une méconnaissance profonde de l’équilibre écologique entre l’homme et son milieu?

Trois contraintes peuvent être évoquées par les économistes pour justifier les reconversions: le progrès technique, les lois de la demande et l’ouverture du commerce extérieur. Ainsi, on ne résiste au progrès technique qu’en payant très chèrement son retard. Les briseurs de métiers à tisser de la soierie lyonnaise ont subi plus longtemps leur paupérisation que les ouvriers anglais des usines mécanisées. On ne résiste pas davantage, dans une économie de marché, aux déplacements de la demande. Certaines reconversions sont imposées par les tendances nouvelles de la consommation. Le déclin relatif des dépenses alimentaires dans les budgets familiaux (le tiers des dépenses dans la France des années 1980), en dépit du soutien des prix agricoles, condamne également la petite exploitation agricole familiale, le boulanger artisanal et l’épicerie de quartier.

Enfin, l’ouverture au commerce extérieur est, elle aussi, à l’origine de nouvelles reconversions. La restructuration des espaces économiques, sous l’effet d’unions douanières et sous l’emprise des firmes transnationales, modifie rapidement la répartition territoriale des ressources. Les espaces à forte densité économique sont renforcés et deviennent des marchés attractifs. Dans les espaces abandonnés, les activités traditionnelles ne sont plus rentables, alors que dans les espaces d’attraction un large mouvement de restructuration produit les mêmes effets.

Si, à l’origine, les phénomènes de reconversion économique paraissent liés au seul déplacement des industries motrices, aujourd’hui ils constituent un problème d’aménagement du territoire dépendant du développement des systèmes urbains et affectant toutes les activités économiques.

1. Un problème de géographie industrielle

Déplacement des industries motrices

Les problèmes de reconversion industrielle surgissent d’abord dans les pays qui ont subi toutes les étapes de la révolution industrielle. Tributaire de l’approvisionnement en charbon et du transport ferroviaire, l’industrie s’est concentrée en certains endroits alors qu’elle était, à l’origine, dispersée. Mais, depuis les années vingt, des facilités nouvelles de transport et d’énergie élargissent les possibilités de localisation de l’entreprise. Les zones de marché des nouvelles industries motrices ont une dimension nationale ou internationale. La généralisation de la crise économique, au cours des années trente, fut le révélateur du déclin des anciennes industries. Or, tant que persiste la stagnation, l’État tente de conserver et de sauver ces activités. Il faut attendre les années de croissance rapide de l’après-guerre pour voir naître de véritables stratégies de reconversion: elles ont pour objet non plus de conserver en les réduisant des productions en déclin, mais de les remplacer par des activités nouvelles. Or ces reconversions sont rarement spontanées dans une branche en perte de vitesse; leur rythme est précipité par des chocs extérieurs.

Innovations pacifiques et militaires

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on constate que le rythme des reconversions industrielles est accéléré par un double mouvement. D’une part, le vieillissement de plus en plus rapide des techniques entraîne une réduction de la durée des équipements et des produits. Les spécialisations industrielles sont éphémères, elles s’orientent vers les «reconversions technologiques». D’autre part, le fossé entre le secteur avancé et le secteur attardé de l’industrie tend à s’élargir en présence d’industries d’armement, du fait que l’innovation des industries de pointe est souvent liée à l’orientation des commandes militaires. Le déplacement des industries motrices, dans ce second cas, suscite un mouvement de conversions industrielles vers les industries militaires et de reconversions vers les industries à destinations pacifiques. Les deux guerres mondiales ont engendré des reconversions économiques de très grande ampleur: c’est ainsi que le réarmement a plus souvent contribué à la reprise économique que les programmes de relance civils.

Renouvellement et diversification de l’industrie

Étant à l’origine de la révolution industrielle, l’Europe occidentale juxtapose des industries d’âge différent; aussi les activités en déclin sont-elles les plus anciennes. Les nouvelles puissances industrielles, profitant de raccourcis techniques, ont-elles pour autant évité tout problème de régression? Les études sur le développement industriel tendent à souligner que, même à des âges différents, l’industrie d’un pays comporte des branches dynamiques et des branches traditionnelles. Les industries de base, notamment les centres sidérurgiques, implantées aujourd’hui dans les jeunes nations sont potentiellement décadentes, car ce sont des secteurs de reconversion dans les pays riches.

Quelques exemples peuvent illustrer l’étendue des reconversions industrielles. Jusqu’en 1914, l’industrialisation avait privilégié les pays disposant de richesses charbonnières. Les États-Unis ont dû résoudre des problèmes de reconversion semblables à ceux de l’Europe dans ce secteur. Mais, dès l’entre-deux-guerres, le rôle énergétique du charbon devient moins important. Ainsi, au Mexique ou au Brésil, dans les années trente, l’industrialisation s’appuie déjà sur d’autres sources d’énergie. Cependant, la phase de démarrage de nouvelles activités industrielles est toujours précédée par quelques transitions artisanales, et les premières industries de substitution sont destinées à vieillir rapidement. Aujourd’hui, le secteur artisanal qui était prépondérant en 1930 doit, dans le Nuevo León ou le Minas Gerais, entreprendre la même reconversion accélérée que dans la vieille Europe, choisir entre l’absorption, la sous-traitance ou la disparition. Grâce à la collectivisation des moyens de production et à la planification centrale, il est sans doute possible de différer les reconversions, en protégeant de la concurrence extérieure les industries traditionnelles. En particulier, la priorité accordée à l’industrie lourde en Union soviétique ou en Europe centrale permet de maintenir en exploitation des entreprises que la concurrence élimine en Europe de l’Ouest. Toutefois, avec la maturité industrielle et l’infléchissement de priorités qu’elle implique, le vieillissement de nombreuses branches d’activité – dans le secteur des biens de production et des biens de consommation – ne peut manquer d’apparaître. On peut penser d’ailleurs que les moyens de la planification impérative pourraient, en matière de reconversion, assurer une plus grande facilité d’exécution que les mesures de persuasion financière des économies libérales.

2. L’aménagement du territoire

Les mutations de l’industrie arrivée à maturité ont provoqué la régression d’industries anciennes, créant des poches locales de chômage dans des régions déprimées où ces industries étaient dominantes. Les économies les plus avancées sont, de nos jours, entrées progressivement dans une phase postindustrielle, au cours de laquelle la part de l’emploi industriel décline à son tour. D’une part, le domaine des reconversions s’élargit considérablement dans toutes les branches d’activité, au fur et à mesure que l’espace économique se reconstruit autour de systèmes urbains qui attirent l’essentiel des ressources. D’autre part, les méthodes de reconversion doivent s’adapter à la diversité des activités économiques chaque fois qu’un point nouveau souffre de régression économique. Enfin, parce que les reconversions ne sont plus isolées, elles sont de plus en plus ressenties comme une contrepartie coûteuse de l’abondance et de la croissance: il faut alors s’interroger sur leur nécessité et leur finalité.

L’élargissement des reconversions

La croissance économique très rapide des économies industrielles occidentales, après les épreuves de la grande crise et la Seconde Guerre mondiale, a eu pour effet de renforcer le courant des migrations vers les villes. Ainsi, en France, alors que les deux tiers de la population vivent dans les villes en 1968, les régions dites de forte polarisation économique ont déjà un taux d’urbanisation de 80 p. 100. La nouvelle répartition géographique des activités économiques, dominée par des types de relations propres aux régions urbaines, conduit à modifier la répartition antérieure dans l’espace, en déplaçant les hommes, les entreprises et les capitaux. Ce changement entraîne le déclin des formes économiques anciennes et appelle une reconversion aussi bien dans l’espace urbain que rural; il fait naître également de nouveaux espaces interstitiels à leurs frontières.

L’espace rural

L’espace rural avait été en Europe, et particulièrement en France, protégé des mutations rapides que connaissait la civilisation urbaine. C’est pourquoi la modernisation de l’agriculture, au début des années cinquante, a introduit des secousses brutales alors qu’ailleurs (États-Unis) les changements ont été progressifs. En 1936, les paysans formaient encore plus du tiers des travailleurs français: en 1968, ils n’étaient plus que 15 p. 100. Les reconversions imposées par cette forme de modernisation tendent à favoriser une grande agriculture industrialisée et ne laissent qu’une place réduite à l’agriculture traditionnelle. Dès lors, les surfaces occupées par cette agriculture de compétition sont plus restreintes et les terres libérées sont disponibles pour d’autres usages. Mais, à partir du moment où la campagne a perdu ses paysans, le village ses commerçants, les reconversions envisagées tendent le plus souvent à y introduire le cadre urbain. C’est ainsi que les zones de montagne (Alpes, Pyrénées) où l’agriculture familiale se meurt deviennent des zones touristiques et des villes «de neige».

L’espace urbain

Accueillant les émigrants qui quittent les régions abandonnées, l’espace urbain attire 60 à 80 p. 100 de la population totale dans les pays techniquement avancés, mais n’occupe que 10 à 20 p. 100 du territoire. L’organisation économique et sociale de ces régions de haute densité de peuplement devient prédominante; le fonctionnement et la dynamique du système économique se réduisent progressivement à l’économie urbaine. Or les régions urbaines englobent des branches d’activité inégalement développées et l’extension du progrès technique crée de nouveaux écarts entre un secteur avancé et un secteur en régression. Dans le secteur des activités directement productives, particulièrement dans l’industrie, la régression des activités traditionnelles se poursuit.

En amont et en aval de la production, les activités de services sont plus étendues que le secteur directement productif. Ce secteur tertiaire connaît à son tour des régressions; or, dans un système d’économie urbaine, il occupe 60 à 80 p. 100 de la population active.

Dès lors, le petit commerce cède sa place aux magasins à grande surface, les banques mécanisées licencient leurs employés et les compagnies d’assurance fusionnent. De même, le contrôle des titres de transport s’automatise et le traitement des opérations comptables est assuré sur ordinateur. Chaque intrusion nouvelle du progrès technique prépare des reclassements professionnels.

De ce fait, les métiers eux-mêmes deviennent éphémères; les changements de profession au cours d’une vie active, déjà fréquents dans la société nord-américaine et qui commencent à entrer dans les mœurs en Europe, témoignent de l’extension du problème des reconversions économiques.

Les diverses méthodes

Les premières reconversions technologiques dans les charbonnages, le textile ou la métallurgie ont emprunté deux démarches successives. Dans l’étape initiale, refusant de croire à une régression inéluctable, on allouait aux entreprises des subventions et aux chômeurs des secours. Dans une seconde étape, la régression étant acceptée, on renonce à conserver les activités condamnées. La reconversion prévoit alors la cessation d’activité dans l’entreprise en déclin, et la substitution de nouvelles activités. Hors des mines ou de l’industrie, des conflits identiques apparaissent. Faut-il conserver l’agriculture familiale non rentable, défendre le petit commerce au centre des villes ou encourager les jeunes médecins généralistes

à faire des visites à domicile? Toutefois, à supposer que l’on garde un vestige de chaque branche traditionnelle, la grande majorité des personnels de ces branches doit se reconvertir.

Les aides fournies pour le financement de la formation permanente et le recyclage dans les entreprises correspondent à cet objectif. Mais, dans une économie où les reconversions s’effectuent à l’intérieur des activités tertiaires, ces incitations font souvent défaut. Par ailleurs, il ne suffit pas d’ouvrir des possibilités de recyclage, car, pour adapter, par niveau de qualification, les offres aux demandes d’emploi, il faudrait en même temps apporter des solutions à d’autres problèmes, échanges de logements, inscription dans les écoles, emploi du mari et de la femme, harmonisation des périodes de congés, etc., qui sont souvent des freins à la mobilité professionnelle.

Les finalités de la reconversion

Une reconversion réussie, qui permet de reclasser la main-d’œuvre en lui offrant de meilleurs métiers, est une opération coûteuse.

Mais il appartient à la collectivité d’assumer les charges liées à la régression d’un secteur d’activité. À tous ceux qui partent, il faudrait fournir, comme à l’agriculteur âgé, une indemnité viagère de départ et à ceux qui se réinstallent dans les branches nouvelles une prime d’installation pour s’équiper.

De telles charges risquent d’être si lourdes qu’elles bloqueraient l’essor des activités dynamiques. Or les grandes reconversions des sociétés industrielles sont plus subies que maîtrisées. Les reconversions internes au milieu urbain, ou exportées par la ville, sont attribuées aux effets du progrès technique sans que leur nécessité soit clairement démontrée. Des études de rationalisation des choix permettraient de faire le départ entre celles qui sont inéluctables et celles que l’on pourrait éluder. Il est probable, d’ailleurs, que la mise en place de politiques de lutte contre la pollution, source de nouvelles reconversions, permettra de mieux apprécier les coûts trop élevés de changements technologiques qui auraient pu être mieux maîtrisé (reconversion des aéroports au transport supersonique, reconversions résidentielles qui accentuent les cloisonnements sociaux au centre et dans les banlieues, etc.).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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